jeudi 23 juillet 2009

DARK HERESY - A PATH OF VENGEANCE, RESUME, PART. 1




Acreage, Royaume d’Ascandia - Gullenforn, dans les Terres Merrywood. 804M41.

Le pavillon de chasse de la Maison Merrywood, à proximité du village de Gullenforn, est le théâtre d’une sombre assemblée. Plusieurs délégations nobles, venues de tout le royaume, ont répondu à cet appel. Tous, des conspirateurs. La tension est palpable. Tous arborent une expression grave, et les regards ne peuvent totalement dissimuler l’anxiété qui les habite. Les risques pris pour venir ici ont été formidables… Mais l’enjeu était trop grand pour être ignoré.

Lucati Merrywood, duc de Kestyr, est là, bien entendu. A ses côtés, Daste Vanenshil, le chef de la garde de sa maison, Adamus Rage, son maître d’armes, Sorosful Finch « Le Troubadour », réputé pour être son conseiller et maître espion. Darius Karn, un homme chétif et aux yeux fuyants, sera son émissaire dans la sombre entreprise qu’ils se préparent à perpétrer.

Malissandre Falatrish, baronne de Valentur, et son entourage sont aussi présents. Autour d’elle, son « Triumvira » : Gombertus Ponce, Peren Cassadar et Aurelius Dascaros. Tous excellent dans les méandres des intrigues et des jeux de cour obscurs et meurtriers. Corvus, un contrebandier et informateur habitué à naviguer en eaux troubles, sera son envoyé.

Glavius Tantalig, Seigneur-Protecteur d’Ascandia et duc de Lyras, est aussi présent, comptant dans sa délégation de prestigieux guerriers : Remna Ontoros, Umnor Kalentis et Talensha Fidr. L’élève de cette dernière, Marcus Stryg, fraîchement sorti de l’Académie militaire désormais moribonde, représentera la Maison Tantalig.

Aucun n’aurait fait le déplacement sans la présence de Rhozena Niceus, fille de feu Gordanus Niceus, ancien Haut-Roi d’Ascandia, et prétendante au trône. Son escorte est composée de Palladius Antar, « Le Chevalier Errant », Dukatis Clayne, « Le Lion d’Ascandia », et Teridan Sheeve. Le représentant qu’elle a choisi : Jadea Clayne, la fille de Dukatis, son amie d’enfance et sa confidente.

Tous ont de sombres griefs envers Orcan, actuel Régent d’Ascandia et d’Acreage. Tous attendent…


Acreage était un monde féodal d’où la technologie avait été bannie. Du moins en apparence, car les maisons nobles l’utilisaient sous couvert de pratiques magiques pour mieux asservir leurs serfs et leurs vassaux. De nombreux royaumes et empires coexistaient sur la planète. Thullé, Evaness, Avandyl, Avnar-mayyd… Mais l’un d’entre eux les dominait tous : Ascandia.

Ascandia était le lieu d’établissement des représentants de l’Imperium, et constituait le seul lien entre Acreage et le reste de l’humanité. Sur l’Ile de l’Empereur, située loin des côtes, à l’abri du regard des paysans et des masses ignorantes, les vaisseaux des Guildes Marchandes et des officiels de l’Administratum et de l’Ecclésiarchie se posaient pour commercer, collecter la dîme ou évangéliser la planète… Cette zone franche d’échanges et de négoce était la clé du prestige et de la fortune du royaume.

Il y a trente et une année de cela, en 773M41, Acreage avait été secouée par l’un des bouleversements majeurs de son histoire. Une flotte Void Born se translata dans son système, et leur demanda asile et hospitalité. Cette famille, qui vivait dans le vide et l’obscurité de l’espace, se faisait appeler les O’Dientro.

Gordanus Niceus, Haut-Roi d’Ascandia et Gouverneur planétaire d’Acreage, chargea son conseiller et ami de toujours, Belisarius Narsès, de négocier avec les étrangers. Ils avaient combattu ensemble lors de nombreuses guerres et d’innombrables batailles, et leur confiance mutuelle était infaillible. Du moins le pensait-on, à l’époque…

Après des mois de discussions et de tractations, un accord fut trouvé. Acreage deviendrait le point d’ancrage des O’Dientro, en échange de la livraison de nouvelles technologies et de machines sanctifiées. Belisarius Narsès se lia vite d’amitié avec le Commandant de la flotte, Harald O’Dientro, malgré leurs coutumes si différentes. Ou peut-être à cause d’elles…

Cette décision eut un accueil mitigé. De nombreux nobles étaient outrés. Acreage était un monde féodal. Seuls les nobles connaissaient la technologie et en faisaient usage, et étaient au courant de l’existence d’autres civilisations au sein des étoiles. La population de basse extraction en était totalement ignorante, et elle devait le rester. Beaucoup, en effet, ne craignaient que l’arrivée de cette nouvelle maison aux mœurs si étranges et à l’apparence si déroutante n’attise les rumeurs et les spéculations. Faire parader des Hors-Monde sur la planète pourrait contribuer à tirer les serfs de l’obscurantisme où ils étaient plongés de manière délibérée…

C’était néanmoins la raison officielle. Car les maisons avaient avant tout peur que leur venue ne change l’équilibre des forces du pouvoir, et par là même, leur fasse perdre du prestige.

Acreage a toujours été méfiante envers l’extérieur. Envers les étrangers, les intrus. Mais cette crainte devint peu à peu une haine silencieuse, en voyant les O’Dientro se rapprocher des hautes sphères du pouvoir avec aisance et désinvolture. Ils devenaient rapidement indispensables, grâce à leurs « présents ». Trop, au goût des maisons nobles qui considéraient désormais la famille Void Born comme leur rivale à abattre.

En 779M41, Gordanus Niceus, alors âgé de quarante-huit années, eut de sa femme Valeriana deux filles jumelles, Rhozena et Rhozeia. Valeriana ne survécut pas. Dans l’optique de lier leurs Maisons par le sang, Gordanus offrit l’une de ses filles en mariage à Belisarius. Mais celui-ci refusa, à la grande tristesse du Haut-Roi. Il était déjà en pourparlers avec Harald O’Dientro pour épouser sa fille aînée, Eynara, dont il était tendrement épris.

Beaucoup murmurent que c’est à ce moment précis que le destin d’Ascandia se joua…

Belisarius et Eynara se marièrent un soir de fin d’été. Et deux années plus tard, en 781M41, naissaient deux jumeaux, Constantine et Sophia Narsès. Bel et Gordanus s’accordèrent pour promettre Constantine à Rhozena. L’avenir semblait radieux, alors…

C’est alors que vint Orcan…

Agé de douze années, ce fils de paysan devint contre toute attente l’Ecuyer de Gordanus, un poste fort envié, car nul n’est plus proche qu’un Ecuyer de son maître, mis à part sa femme. Et Gordanus était veuf. Si un Ecuyer ne pouvait brandir une quelconque autorité en son nom propre, nul ne pouvait ignorer son influence tacite dans les jeux de pouvoir, par sa proximité avec le Haut-Roi. Ainsi, l’Ecuyer est courtisé et flatté par de nombreux sycophantes, et les nobles en quête de bonnes grâces.

Orcan avait vécu de nombreuses années dans l’orphelinat de l’Archevêque Leonid Varinius. Ce dernier faisait preuve d’une affection particulière pour son enfant de chœur. Alors qu’il devait passer grand clerc, il fut appelé par Gordanus pour le servir, et il accepta volontiers.

Varinius ne bouda pas non plus son plaisir. Car il s’était fait un allié et un informateur de choix dans les cercles fermés de la Cour d’Ascandia.

Orcan apprit très vite à se débrouiller, à danser au rythme des jeux de cour. Il avait un pragmatisme inné, et de sombres ambitions. Et ces deux qualités lui ouvrirent de nombreuses portes.

Des nobles vinrent se plaindre à Gordanus des relations que Belisarius Narsès entretenait avec les O’Dientro. Mais ils ne trouvèrent que la colère du Haut-Roi, resté fidèle à leur amitié. Ils vinrent alors trouver Orcan, et ce dernier accepta de les aider.

Petit à petit, au fil des années, il fit naître en Gordanus de terribles doutes. De plus en plus tourmenté par les afflictions de l’âge, le Haut-Roi, las et faible, se laissa peu à peu convaincre. Et au gré des murmures du jeune page, les déceptions futiles d’autrefois se muèrent en rancœurs tenaces. Belisarius avait osé refuser la main de sa fille. Et comment pouvait-il prendre la défense de ces étrangers à ce point ? L’abandonnait-il ? Planifiait-il d’usurper le trône avec le soutien de ces intrus ?

Après des années de complaintes et de pressions incessantes de la part de la noblesse, Gordanus, accablé, céda. Etait-il lui-même seulement responsable ? Ascandia voulait que Belisarius paie. Il était de son rôle d’écouter son peuple. N’était-ce pas lui, le seul à blâmer ? Avait-il écouté ses réprimandes et ses recommandations ? Non, il n’en avait fait qu’à sa tête… Il aspirait à plus de gloire et de pouvoir, c’était désormais une certitude. Peut-être s’estimait-il plus important que lui ? Un Haut-Roi ne pouvait se laisser aller à ses sentiments. Déjà, dans les couloirs, on entendait qu’il était faible et couard… Trop tendre avec son protégé. Un protégé qui le tuerait s’il ne pensait que ses heures étaient comptées.

Il fallait que quelque chose soit fait. Ou sinon, il perdrait la confiance des nobles, et son pouvoir serait remis en cause… Il devait leur donner satisfaction.

Orcan souriait. Il avait fait appel à la raison fuyante du monarque, à ses émotions les plus profondément enfouies. Et ce vieux sénile avait fini par entendre…

En 786M41, un édit proclama Belisarius Narsès conspirateur et coupable de haute-trahison envers Ascandia. Le traité de coopération avec les O’Dientro fut annulé. Les armées se mirent en branle vers la Province de Khiel, afin de capturer le traître et le soumettre au châtiment de l’Empereur-Dieu.

Belisarius se contenta de défendre, ses terres, mais aussi son honneur ainsi bafoué. Il envoya dans un premier temps nombre d’émissaires pour clamer son innocence et demander une entrevue avec le Haut-Roi pour clarifier ce malentendu. Gordanus accepta. Mais conseillé par ses généraux, il fit de cette réunion un piège. Belisarius réussit cependant à s’enfuir, au prix du sacrifice de nombreux soldats. Dans l’impossibilité de regagner Khiel, désormais assiégée, il erra avec ses troupes, de lieu en lieu, ne s’arrêtant pas plus d’une journée. Pendant des mois, des années, il échappa ainsi à ses poursuivants. Mais le souvenir du piège qui lui avait été tendu, et la mort de ses hommes, lui laissa un goût amer dans la bouche, qui deviendrait bientôt de la colère.

Eynara, Constantine et Sophia étaient restés à Khiel. Ils avaient vu les armées du Haut-Roi approcher, myriades de voiles dressées se dévoilant entre les branches des arbres morts de la forêt noyée, à travers la brume des marécages. Les portes de la ville furent scellées, tandis que les légions encerclaient la forteresse. Ainsi débuta un long siège, qui dans son sillage amena famine, fléaux et souffrances…

Gyserus Narsès, le frère aîné de Belisarius, qui avait abdiqué en sa faveur, était venu réconforter Eynara. Pris au piège dans la cité, il gouverna en lieu et place de son frère, espérant que des vagues de contestation viendraient leur apporter du soutien. Malissandre Falatrish et son frère Samayn se déclarèrent alliés des Narsès, bravant le courroux du Haut-Roi. Bientôt, les Maisons Rabast, Saltigar et Evalia joignirent leurs voix. Belisarius Narsès ne pouvait être un traître !

Mais Belisarius, contre toute attente, leur demanda de ne pas agir, leur disant qu’il y avait sûrement un autre moyen d’arranger les choses… Sans recourir à la guerre, sans recourir aux armes. Mais cela devait bientôt changer.

Sous la direction de Robben Buhl, chef de la garde de Khiel, la ville tint bon, dans l’attente de jours meilleurs, et du retour de Belisarius. Et elle aurait pu tenir de nombreux autres jours, si elle n’avait été l’objet de la vilénie et de la traitrise.

Eynara était entourée de deux dames de compagnie. Ses amies, ses confidentes. C’est à elles qu’elle parlait de ses craintes vis-à-vis de Belisarius, de ses enfants, de sa solitude, de ses longues nuits sans sommeil. Il y avait Lisara, de la Maison Fabia, famille mineure vassale des Narsès, et Nella Angelus, née Comnerius…

Nella aimait beaucoup Eynara. Mais par faiblesse de caractère, peut-être, ou à cause de son sentiment d’être devenue une prisonnière et du regard plein de mépris des habitants de Khiel, elle désespérait de retourner chez elle, auprès de son mari Iactus et de ses enfants. Et elle avait raison. Gyserus ne pouvait raisonnablement la relâcher, même s’il la traitait avec tous les égards dus à son rang. Elle était un otage de poids…

Mais c’est cela qui causa la chute de Khiel, en 788M41.

Avec quelques-uns de ses hommes, elle fit en sorte d’ouvrir les portes de la ville, afin que les armées du Haut-Roi puissent y pénétrer et investir le château. Elle serait ainsi libre, enfin délivrée de cette maison qui était devenue une prison. Jamais elle n’aurait pensé que son acte causerait carnage, meurtre et barbarie.

Comme une lance à travers de la chair tendre, les troupes de Gordanus, meneés par Glavius Tantalig, Balian Angelus, le fils de Nella, Isak Comnerius et Baras Gurst, se répandirent dans la ville, commettant de terribles et innommables exactions. Pillages, viols, meurtres… Le sang coula à flots, tandis que les soldats encerclèrent la forteresse et firent voler les lourdes portes du palais en éclats.

Balian Angelus fut le premier à pénétrer la salle du trône. Eynara Narsès l’y attendait, afin de signer la reddition de Khiel. Mais encore ivre de sang et de combats, il ne l’écouta pas. Aydan Kastemar, le maître d’armes de Belisarius, sentit le danger. Il s’interposa, et blessa Balian. Il combattit une dizaine de soldats, exhortant à Eynara de s’enfuir et de mettre les enfants à l’abri, avant de sombrer, transpercé par de nombreuses lances. Sous les yeux d’Eynara, Balian tua la nourrice de ses deux enfants, Mona. Faydar O’Dientro réussit à emmener Sophia par la porte située à l’arrière du dais. Mais Constantine n’eut pas cette chance. Balian ordonna à ses hommes de s’emparer de lui. Et devant ses yeux, il viola sa mère avant de l’égorger.

On amena dans la salle du trône d’autres captifs. Gyserus, Fortunata, la sœur cadette de Belisarius, Robben Buhl, Feldren Spiel, l’intendant, Emagaël Gluck, l’apothicaire, le garde-chasse rengel Fritz, Lisara, Rigorus Tilt, le précepteur des deux enfants… Fortunata connut le même sort qu’Eynara, livrée aux soldats de Balian, sous les hurlements de rage de Gyserus et de Tilt. Gyserus fut exécuté. Lisara fut emmenée par les soldats. Même si elle survécut, son sort n’est pas enviable. Pendant des jours, elle endura sévices et humiliations, avant que Glavius Tantalig ne puisse reprendre le contrôle de son armée.

Aux autres captifs, on offrit un choix. Renier Belisarius et se ranger de leur côté, ou périr. Tous acceptèrent sous la contrainte. Mais Rigorus Tilt jura de venger un jour la mort de sa bien-aimée, Fortunata, qu’il affectionnait secrètement, et que jamais il n’aurait osé déshonorer par des aveux inadéquats. Il n’était que précepteur, elle une noble de haut rang…

Le Confesseur Sattaran avait réussi à faire épargner les derniers survivants. Son autorité, issue du Ministorum, le rendait intouchable, et ses paroles pouvaient faire office de loi, si elles n’étaient pas contredites par l’Archevêque Varinius. Qui oserait s’en prendre à un serviteur de l’Empereur-Dieu ? Ainsi, les tueries et les massacres cessèrent…

Belisarius eut finalement vent de la chute de Khiel et du sort de ses proches. Pendant des jours, ses hommes craignirent qu’il ne perde goût à la vie. Il s’était muré dans un profond silence, refusant de voir quiconque. Et seuls ses gardes pouvaient de temps en temps entendre ses sanglots et ses cris de rage. Quand il sortit de sa tente, cependant, son visage arborait une expression de pure haine, et il ne pensait plus qu’à la vengeance.

Il réunit sous sa bannière les Maisons Falatrish, Rabast, Saltigar, Evalia ainsi que de nombreuses familles vassales. Ses armées, fortes de trente mille hommes, déferlèrent sur Regalia, le siège du pouvoir, en éventrant la Province d’Engel, terre des Angelus. Le tiers des forces de Gordanus était encore en Khiel, et le Haut-Roi s’attendait à voir Belisarius se diriger vers ses terres plutôt que vers lui.

Les armées des Maisons Baliel, Strynn, Comnerius et Merrywood s’unirent pour s’opposer à cette force de frappe. A elles trois, elles réunissaient plus d’un tiers des armées d’Ascandia.

Mais cela n’était là qu’une diversion. Une flotte massive apparut un matin aux abords de la capitale. Les cloches sonnèrent l’alarme, mais tous attendaient une frappe terrestre. Le temps que les défenses s’organisent, les vaisseaux effilés de la Maison Falatrish déposèrent des centaines d’hommes au sein du port.

Même avec la surprise de leur côté, la lutte fut âpre dans les rues de Regalia. Ruelle après ruelle, artère après artère, les troupes de Belisarius tracèrent leur chemin jusqu’au palais royal. Gordanus, choqué par la vue de sa ville ainsi prise d’assaut, furieux de voir son port détruit et en proie aux flammes, demanda à ce qu’on prépare son armure. Mais Orcan demeurait introuvable. Un autre page l’habilla et harnacha sa monture.

Il ouvrit les portes du palais, et sa garde chargea face aux assaillants. Bientôt, les deux anciens frères d’armes, désormais ennemis, se firent face. Au sein des clameurs, Gordanus interpella son adversaire : « Que l’Empereur-Dieu m’écoute ! Je ne te laisserai pas détruire Ascandia, je ne te laisserai pas souiller sa capitale du sang de ses hommes et du martellement du métal ! Viens prestement, et réglons cela d’homme à homme, de frère à frère ! ».

Les bruits de la bataille se tarirent petit à petit, au fur et à mesure que Gordanus récitait et répétait sa litanie. Belisarius l’entendit, lui aussi. Bientôt, les deux armées se firent face, en silence, sur la place principale de la ville.

Bravant les fumées âcres des barricades enflammées, les deux adversaires s’avancèrent. Belisarius, Horizon, la lame forgée pour lui par les O’Dientro à la main. Gordanus, en armure étincelante, soulevant haut son épée bâtarde…

Dans un silence presque total, ils s’affrontèrent. Tous retinrent leur souffle. Les lames tonnèrent et tintèrent l’une contre l’autre. Mais Belisarius prit l’ascendant sur son ancien lige. A chacun de ses coups, même s’il ne semblait pas touché, l’armure de Gordanus claquait et se gondolait, comme frappée d’un grand coup de masse. Soudain, l’épée de Belisarius transperça le plastron du Haut-Roi. Ce dernier posa son genou à terre, lâchant son arme, qui cliqueta contre le sol pavé. Du sang goutta le long de celle de Belisarius. Le Haut-Roi semblait surpris.

Avant de sombrer, Gordanus bougea les lèvres, mais seul Belisarius aurait pu l’entendre. Le Seigneur de la Maison Narsès hurla de rage, de tristesse, face à tout ce qui aurait pu être et qui ne serait jamais, à tout ce qui a été et jamais plus ne pourrait être changé… Et autour de lui, les soldats des deux camps se prosternèrent. Car c’était un duel que Belisarius avait gagné. Et par les lois anciennes, il était désormais Haut-Roi d’Ascandia.

Mais c’était loin d’être la fin des tourments.

Orcan entra dans la capitale, chevauchant sous la bannière de l’Empereur-Dieu. Il était accompagné de dignitaires de l’Administratum et de l’Ecclésiarchie, ainsi que d’une petite armée frappée aux couleurs de la Maison Fern, famille mineure vassale des Tantalig. Les soldats s’écartèrent à son passage, se prosternant devant la bannière brandie. Il s’arrêta devant Belisarius, et sortit de sa poche un parchemin scellé. Il lut, à haute voix, pour que tous puissent entendre :

« Belisarius Narsès est déclaré traître à l’Imperium. Son châtiment sera la mort, et la sentence devra être prestement exécutée. »

Deux soldats d’Orcan, ou plutôt des bourreaux, s’avancèrent vers le nouveau Haut-Roi. Le parchemin portait le sceau de l’Archevêque et de l’Administratum. Nul ne pouvait se dresser contre cette décision. Mais c’est ce que fit Samayn Falatrish, le frère de Malissandre. Il tua le premier bourreau prestement, et se débarrassa sans mal du second. Mais c’est alors que le coup de laser retentit… Les soldats regardèrent le corps de Samayn s’affaisser, un trou béant dans la poitrine, puis ils fixèrent attentivement le tireur, Adris Fern, qui se tenait aux côtés d’Orcan.

Quelle était cette magie ? La peur se lut dans tous les regards… Seuls les nobles savaient. Mais les serfs et les ignorants furent pétrifiés d’effroi. Orcan parla distinctement : « Ceci est la puissance de l’Empereur-Dieu, et je suis son élu. Il m’a nommé Régent de ce royaume, pour le laver du péché des nobles, car il ne tolère plus leurs actes barbares et sanglants ! ».

Son regard se tourna vers Belisarius, et son sourire était carnassier. Mais le Seigneur Narsès avait déjà fait le deuil de sa vie, et c’est non sans soulagement qu’il accepta son sort. Deux nouveaux soldats avancèrent, enjambant le corps de Samayn. Dans une parodie d’exécution, ils tuèrent Belisarius, devant des multitudes de regards horrifiés. Ses dernières paroles furent pour Eynara, qu’il n’allait pas tarder à rejoindre…

Depuis sa salle de commandement, Harald O’Dientro jeta un dernier regard à la planète, aux espoirs brisés, aux amis perdus, avant que son vaisseau ne disparaisse à jamais dans l’obscurité du ciel, emmenant Sophia avec lui…

C’est ainsi qu’en 789M41, Orcan devint Régent d’Ascandia et Gouverneur par interim d’Acreage, dans l’attente de la nomination d’un successeur, soit en la personne de Rhozena, soit en celle de Rhozeia, toutes deux filles de Gordanus Niceus.

On pourra s’étonner qu’avec son jeune âge, il ait été promu à un si haut poste, mais c’est sans compter que sur Acreage, une personne est déjà un homme à cet âge. On pourra aussi s’étonner de la sénilité de Gordanus, âgé à peine de six décades, si ce n’est que sur cette planète, six décades est un âge déjà vénérable…

Sous la protection de l’Imperium, Orcan commença à gouverner. Il fit taire les contestations, annexa le Cibré, une région autrefois sous l’autorité des Falatrish, pour la donner aux Angelus. Il fit proclamer un édit : nul ne devait plus jamais prononcer le nom des Narsès, ni fouler leurs terres, sous peine de mort. Les populations de Khiel durent s’exiler. Un exode de milliers et de milliers d’âmes.

Rigorus Tilt s’exila à la cour de la baronne Falatrish, une vengeance terrible ancré dans son cœur. Mais de nombreux autres, comme Robben Buhl, choisirent de servir Orcan.

Pour contenter les nobles, Orcan réorganisa le royaume. Les territoires, autrefois des Provinces, devinrent des Duchés, avec plus d’autonomie allouée aux Maisons. Cependant, les dîmes impériales furent augmentées drastiquement, et de nombreux nobles, s’ils ne pouvaient clamer leur outrage, se mirent à maugréer secrètement…

Orcan ne pouvait laisser vivre Constantine, dernier survivant des Narsès. Le temps ferait de lui un ennemi dangereux, il ne le savait que trop bien. Mais c’était sans compter sur la bienveillance du Confesseur Sattaran. Ce dernier persuada l’archevêque de le laisser en vie et de l’exiler loin de cette planète. Varinius, malgré toute sa corruption, ne pouvait s’abaisser à autoriser l’exécution d’un enfant. Et malgré les protestations d’Orcan, Constantine fut emmené vers un monastère, hors du système, et le Régent ne put qu’espérer qu’il ne reviendrait plus jamais.

La rampe du vaisseau s’abaisse, pour révéler une silhouette encapuchonnée. La pluie s’abat, drue, sur Acreage. L’homme inspire l’air vicié et chargé de souvenirs. A ses côtés, des mercenaires en combinaison de combat. Des Hors-Monde. L’homme scrute les environs. Quelqu’un l’attend non loin, brandissant une lanterne. A côté de lui, une petite embarcation aux voiles repliées, et des bateleurs au regard inquiet. Il le reconnaît. Son ancien précepteur, Rigorus Tilt.

Constantine Narsès pose le pied sur sa planète, après quinze années d’exil. Il foule du pied la terre qui l’a vu naître et qui lui revient de droit. Il revient, pour la reconquérir, mais avant tout pour se venger de celui qui lui a tout pris. Celui qui lui a dérobé sa vie…

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